Une
adresse dans un quartier résidentielde Genève (Suisse). Un ascenseur
qui mène tout en haut d'une tour. Un homme en noir ouvre la porte. Notre
hôte n'est pas là, il est à la « fondation ». Nous n'osons pas poser de
questions. L'homme nous mène, en voiture, à quelques rues de là, au
rez-de-chaussée d'un immeuble un peu froid. Enfin, Paulo Coelho, 70 ans,
apparaît.
Après
une franche poignée de main, il nous ouvre les portes de ce qui
ressemble à un musée à sa gloire. Une fondation, qui n'est pas encore
ouverte au public, et où sont collectés des objets liés à l'écrivain
brésilien aux 200 millions de livres vendus dans le monde. Sur les murs,
toutes les couvertures des traductions de ses romans. Au sol, son «
chemin de vie » : des photos de lui depuis l'enfance jusqu'à maintenant,
avec sa maman, sa femme – la peintre Christina Oiticica, 51 ans
aujourd'hui –, ou des stars telles que Bill Clinton, le pape Jean-Paul
II...
Plus
loin, des vitrines où sont exposés ses chaussons de nourrisson, son
attestation d'internement dans un asile, quand il avait 17 ans, où il a
subi des électrochocs car il était jugé trop rebelle par sa famille, son
costume d'académicien et sa veste en jean de hippie. Car l'auteur de L'Alchimiste a vécu les années 1970 en mode libertaire en Amérique du Sud, puis en Europe et en Turquie.
Il n'avait jamais évoqué cette période dans ses livres. C'est chose faite avec Hippie qui
vient de sortir en librairie (Flammarion, 320 p., 19 €). Paulo Coehlo y
romance son voyage d'Amsterdam à Istanbul, à bord d'un des Magic Bus,
ces cars qui emmenaient les hippies jusqu'à Katmandou, au Népal, via
l'Iran, l'Afghanistan et l'Inde. Un récit initiatique plein de
rebondissements et de fantaisie. Pour notre magazine, il ouvre et
commente l'album photo de son périple.
Libre comme un hippie
«
Nous, les hippies, nous étions mal vus, et associés à pas mal de
clichés : nous étions des jeunes aux cheveux longs, aux vêtements pleins
de couleurs, qui ne se lavaient pas... C'était faux ! On se lavait !
Drogue, sexualité débridée, amour libre... Nous représentions une menace
pour la société et les bonnes moeurs, un risque de perversion pour
toute une génération. Personne ne nous comprenait, on édictait nos
propres règles, on vivait les choses avec intensité. C'était la liberté
dans sa pleine conception, avec ses excès aussi, mais nous n'étions pas
fous !
Ce
qui nous liait ? Le refus de la société de consommation, le désir de
non-violence, un mode de vie non conventionnel, basé sur la simplicité.
Nous respections la nature, notre corps, notre âme. Le monde était
divisé en deux blocs, l'Ouest et l'Est, et la jeunesse ne se
reconnaissait ni dans un modèle ni dans l'autre. Seules les utopies nous
inspiraient. Elles ne changent pas le monde mais elles donnent de
l'élan, de l'espoir.
Le
jeune homme que j'étais avait plusieurs influences intellectuelles :
Jean-Paul Sartre et les existentialistes, les philosophes Heidegger et
Kierkegaard, la musique de Serge Gainsbourg, les cinéastes de la
Nouvelle Vague... J'avais idéalisé la France et Mai 1968, mais la France
a préféré ignorer les hippies. »
Le mystère inca
« Tout le monde voulait aller au Pérou. Le livre Le Matin des magiciens,
de Louis Pauwels et Jacques Bergier, qui parlait des mystères, des
alchimistes, des mages, que les hippies adoraient, vantait la cité
perdue inca du Machu Picchu. Ce fut mon premier voyage sur la route
hippie. Je suis parti avec Vera, ma petite amie de l'époque. Nous avons
pris ce qu'on appelait le "train de la mort", non pas à cause des
précipices, mais parce que, autrefois, le convoi transportait des
lépreux.
J'ai
vu le lac Titicaca et j'ai eu un choc lorsque je me suis retrouvé
devant un groupe de hippies rassemblés autour d'un monument décoré de
bas-reliefs appelé "Porte du Soleil". J'ai pleuré comme si j'étais entré
en contact avec les bâtisseurs incas. Puis nous avons embarqué sur un
bateau pour nous rendre au Machu Picchu. Nous avons vécu plusieurs jours
là-bas, dormant dans des maisons abandonnées ou à la belle étoile, nous
baignant tous les jours nus dans la rivière. C'était magique.
Un
moment béni avant l'enfer que j'ai vécu ensuite. Au retour, Vera
voulait voir l'Etat du Parana, au Brésil. Nous avons fait du stop
jusqu'à Ponta Grossa, et là, nous avons été arrêtés par des policiers
qui nous accusaient d'avoir participé à un braquage ! »
Amsterdam à cinq dollars par jour
«
En septembre 1970, j'ai entrepris un voyage en Europe. J'étais fasciné
par deux villes : Londres en Angleterre et Amsterdam aux Pays-Bas. La
jeunesse hippie les considérait comme les deux centres du monde. Notre
livre de chevet, c'était L'Europe à cinq dollars par jour, d'Arthur Frommer, qui indiquait où l'on pouvait manger, dormir, assister à des concerts sans trop dépenser...
Aux
Pays- Bas, j'ai expérimenté toutes sortes de drogues, dont le LSD, la
cocaïne, qui est la drogue du démon capitaliste. Mais je n'ai jamais
pris d'héroïne. Un jour, un junkie m'a dit : "L'héroïne te procure une
félicité immense." J'ai tout de suite compris qu'il ne fallait pas y
goûter. Là-bas, j'ai rencontré des adeptes de Krishna, j'ai dansé avec
eux et chanté Hare Krishna, puis j'ai réalisé que c'était une secte. Et
puis, ils prônaient l'abstinence sexuelle...
A
Amsterdam, je suis tombé sur Karla, une jeune femme de 23 ans qui
n'avait qu'une obsession, aller à Katmandou, au Népal. Moi, je n'y
tenais pas plus que ça. Elle m'a parlé du Magic Bus, qui ralliait
certaines villes d'Europe au Népal en passant par laTurquie, l'Iran,
l'Afghanistan, l'Inde...
Avec
cent dollars en poche, on pouvait être du voyage. Le Magic Bus ne
correspondait pas aux affiches de l'agence qui nous avait vendu les
billets et qui représentaient un bus bariolé. Nous avons pris place à
bord d'un vieux car scolaire. »
La route jusqu'à Istanbul
«
Les jours à bord du Magic Bus se ressemblaient. Les premiers temps,
nous avons appris à connaître les autres hippies. Mais à partir de
l'Autriche, nous n'avions plus grand-chose à nous raconter. Nous
dormions à la belle étoile, parfois dans des hôtels miteux, ou alors sur
les sièges non inclinables du bus où nous nous tordions dans tous les
sens.
Le
chauffeur indien savait gérer les tensions entre nous. D'ailleurs, il y
a eu peu de conflits durant le voyage, et pourtant nous vivions les uns
sur les autres. Nous étions unis par la même soif de liberté.
A
Istanbul (Turquie), j'ai eu une révélation. Je voulais voir les
derviches tourneurs, et m'initier au soufisme, une tendance inspirée de
l'islam. Au Brésil, j'avais vu ces hommes en jupe blanche tourner sur
eux-mêmes jusqu'à entrer en transe. J'aimais la poésie de Rûmî, ce poète
mystique du XIIIe siècle et père du soufisme.
A
Istanbul, un vieillard m'a enseigné le soufisme comme une forme de
reconnexion avec mon esprit. Je ne suis plus jamais remonté dans le
Magic Bus, j'avais trouvé mon idéal. Karla, elle, est partie pour
Katmandou. Je ne l'ai plus jamais revue. Lorsque je suis rentré au
Brésil en 1973, j'ai écrit des chansons pour Raul Seixas, une star du
rock. Mes paroles étaient jugées subversives par la dictature. Plusieurs
fois, j'ai été arrêté et torturé. »
L’empire en or de Paulo
Plus de
200 millions de livres vendus dans le monde, des traductions dans 170
pays, de la Corée du Sud aux Etats-Unis en passant par la France, 29
millions d’abonnés sur Facebook, 16 millions sur Twitter et 1,6 million
sur Instagram…
En trente et un ans, l’écrivain brésilien a su construire un empire éditorial et numérique. Son premier livre, Le Pèlerin de Compostelle,
publié au Brésil en 1987, relate les étapes du chemin de
Saint-Jacques-de-Compostelle qu’il a parcouru en 1986 avec son guide
Petrus, ainsi que sa révélation spirituelle. L’ouvrage connaît un succès
modeste.
Un an après, il publie L’Alchimiste.
Il ne vend qu’un millier d’exemplaires au Brésil. En 1994, les éditions
Anne Carrière achètent les droits et sortent le roman en France. Le
phénomène Coelho démarre.
Le
héros de ce court récit est un jeune berger espagnol, Santiago, qui,
après des études au séminaire, renonce à la prêtrise, contre le souhait
de ses parents. Il embrasse alors une existence simple faite de nature
et de lecture. A la suite d’un rêve lui révélant l’existence d’un trésor
caché au pied des pyramides d’Egypte, il décide d’entreprendre un
voyage qui, depuis l’Andalousie, en Espagne, l’emmène jusqu’à Gizeh, sur
la rive gauche du Nil.
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