vendredi 11 octobre 2019

HIPPIE






Une adresse dans un quartier résidentielde Genève (Suisse). Un ascenseur qui mène tout en haut d'une tour. Un homme en noir ouvre la porte. Notre hôte n'est pas là, il est à la « fondation ». Nous n'osons pas poser de questions. L'homme nous mène, en voiture, à quelques rues de là, au rez-de-chaussée d'un immeuble un peu froid. Enfin, Paulo Coelho, 70 ans, apparaît.
Après une franche poignée de main, il nous ouvre les portes de ce qui ressemble à un musée à sa gloire. Une fondation, qui n'est pas encore ouverte au public, et où sont collectés des objets liés à l'écrivain brésilien aux 200 millions de livres vendus dans le monde. Sur les murs, toutes les couvertures des traductions de ses romans. Au sol, son « chemin de vie » : des photos de lui depuis l'enfance jusqu'à maintenant, avec sa maman, sa femme – la peintre Christina Oiticica, 51 ans aujourd'hui –, ou des stars telles que Bill Clinton, le pape Jean-Paul II...
Plus loin, des vitrines où sont exposés ses chaussons de nourrisson, son attestation d'internement dans un asile, quand il avait 17 ans, où il a subi des électrochocs car il était jugé trop rebelle par sa famille, son costume d'académicien et sa veste en jean de hippie. Car l'auteur de L'Alchimiste a vécu les années 1970 en mode libertaire en Amérique du Sud, puis en Europe et en Turquie.
Il n'avait jamais évoqué cette période dans ses livres. C'est chose faite avec Hippie qui vient de sortir en librairie (Flammarion, 320 p., 19 €). Paulo Coehlo y romance son voyage d'Amsterdam à Istanbul, à bord d'un des Magic Bus, ces cars qui emmenaient les hippies jusqu'à Katmandou, au Népal, via l'Iran, l'Afghanistan et l'Inde. Un récit initiatique plein de rebondissements et de fantaisie. Pour notre magazine, il ouvre et commente l'album photo de son périple.
Libre comme un hippie
« Nous, les hippies, nous étions mal vus, et associés à pas mal de clichés : nous étions des jeunes aux cheveux longs, aux vêtements pleins de couleurs, qui ne se lavaient pas... C'était faux ! On se lavait ! Drogue, sexualité débridée, amour libre... Nous représentions une menace pour la société et les bonnes moeurs, un risque de perversion pour toute une génération. Personne ne nous comprenait, on édictait nos propres règles, on vivait les choses avec intensité. C'était la liberté dans sa pleine conception, avec ses excès aussi, mais nous n'étions pas fous !
Ce qui nous liait ? Le refus de la société de consommation, le désir de non-violence, un mode de vie non conventionnel, basé sur la simplicité. Nous respections la nature, notre corps, notre âme. Le monde était divisé en deux blocs, l'Ouest et l'Est, et la jeunesse ne se reconnaissait ni dans un modèle ni dans l'autre. Seules les utopies nous inspiraient. Elles ne changent pas le monde mais elles donnent de l'élan, de l'espoir.
Le jeune homme que j'étais avait plusieurs influences intellectuelles : Jean-Paul Sartre et les existentialistes, les philosophes Heidegger et Kierkegaard, la musique de Serge Gainsbourg, les cinéastes de la Nouvelle Vague... J'avais idéalisé la France et Mai 1968, mais la France a préféré ignorer les hippies. »
Le mystère inca
« Tout le monde voulait aller au Pérou. Le livre Le Matin des magiciens, de Louis Pauwels et Jacques Bergier, qui parlait des mystères, des alchimistes, des mages, que les hippies adoraient, vantait la cité perdue inca du Machu Picchu. Ce fut mon premier voyage sur la route hippie. Je suis parti avec Vera, ma petite amie de l'époque. Nous avons pris ce qu'on appelait le "train de la mort", non pas à cause des précipices, mais parce que, autrefois, le convoi transportait des lépreux.
J'ai vu le lac Titicaca et j'ai eu un choc lorsque je me suis retrouvé devant un groupe de hippies rassemblés autour d'un monument décoré de bas-reliefs appelé "Porte du Soleil". J'ai pleuré comme si j'étais entré en contact avec les bâtisseurs incas. Puis nous avons embarqué sur un bateau pour nous rendre au Machu Picchu. Nous avons vécu plusieurs jours là-bas, dormant dans des maisons abandonnées ou à la belle étoile, nous baignant tous les jours nus dans la rivière. C'était magique.
Un moment béni avant l'enfer que j'ai vécu ensuite. Au retour, Vera voulait voir l'Etat du Parana, au Brésil. Nous avons fait du stop jusqu'à Ponta Grossa, et là, nous avons été arrêtés par des policiers qui nous accusaient d'avoir participé à un braquage ! »

Amsterdam à cinq dollars par jour
« En septembre 1970, j'ai entrepris un voyage en Europe. J'étais fasciné par deux villes : Londres en Angleterre et Amsterdam aux Pays-Bas. La jeunesse hippie les considérait comme les deux centres du monde. Notre livre de chevet, c'était L'Europe à cinq dollars par jour, d'Arthur Frommer, qui indiquait où l'on pouvait manger, dormir, assister à des concerts sans trop dépenser...
Aux Pays- Bas, j'ai expérimenté toutes sortes de drogues, dont le LSD, la cocaïne, qui est la drogue du démon capitaliste. Mais je n'ai jamais pris d'héroïne. Un jour, un junkie m'a dit : "L'héroïne te procure une félicité immense." J'ai tout de suite compris qu'il ne fallait pas y goûter. Là-bas, j'ai rencontré des adeptes de Krishna, j'ai dansé avec eux et chanté Hare Krishna, puis j'ai réalisé que c'était une secte. Et puis, ils prônaient l'abstinence sexuelle...
A Amsterdam, je suis tombé sur Karla, une jeune femme de 23 ans qui n'avait qu'une obsession, aller à Katmandou, au Népal. Moi, je n'y tenais pas plus que ça. Elle m'a parlé du Magic Bus, qui ralliait certaines villes d'Europe au Népal en passant par laTurquie, l'Iran, l'Afghanistan, l'Inde...
Avec cent dollars en poche, on pouvait être du voyage. Le Magic Bus ne correspondait pas aux affiches de l'agence qui nous avait vendu les billets et qui représentaient un bus bariolé. Nous avons pris place à bord d'un vieux car scolaire. »

La route jusqu'à Istanbul
« Les jours à bord du Magic Bus se ressemblaient. Les premiers temps, nous avons appris à connaître les autres hippies. Mais à partir de l'Autriche, nous n'avions plus grand-chose à nous raconter. Nous dormions à la belle étoile, parfois dans des hôtels miteux, ou alors sur les sièges non inclinables du bus où nous nous tordions dans tous les sens.
Le chauffeur indien savait gérer les tensions entre nous. D'ailleurs, il y a eu peu de conflits durant le voyage, et pourtant nous vivions les uns sur les autres. Nous étions unis par la même soif de liberté.
A Istanbul (Turquie), j'ai eu une révélation. Je voulais voir les derviches tourneurs, et m'initier au soufisme, une tendance inspirée de l'islam. Au Brésil, j'avais vu ces hommes en jupe blanche tourner sur eux-mêmes jusqu'à entrer en transe. J'aimais la poésie de Rûmî, ce poète mystique du XIIIe siècle et père du soufisme.
A Istanbul, un vieillard m'a enseigné le soufisme comme une forme de reconnexion avec mon esprit. Je ne suis plus jamais remonté dans le Magic Bus, j'avais trouvé mon idéal. Karla, elle, est partie pour Katmandou. Je ne l'ai plus jamais revue. Lorsque je suis rentré au Brésil en 1973, j'ai écrit des chansons pour Raul Seixas, une star du rock. Mes paroles étaient jugées subversives par la dictature. Plusieurs fois, j'ai été arrêté et torturé. »
L’empire en or de Paulo
Plus de 200 millions de livres vendus dans le monde, des traductions dans 170 pays, de la Corée du Sud aux Etats-Unis en passant par la France, 29 millions d’abonnés sur Facebook, 16 millions sur Twitter et 1,6 million sur Instagram…
En trente et un ans, l’écrivain brésilien a su construire un empire éditorial et numérique. Son premier livre, Le Pèlerin de Compostelle, publié au Brésil en 1987, relate les étapes du chemin de Saint-Jacques-de-Compostelle qu’il a parcouru en 1986 avec son guide Petrus, ainsi que sa révélation spirituelle. L’ouvrage connaît un succès modeste.
Un an après, il publie L’Alchimiste. Il ne vend qu’un millier d’exemplaires au Brésil. En 1994, les éditions Anne Carrière achètent les droits et sortent le roman en France. Le phénomène Coelho démarre.
Le héros de ce court récit est un jeune berger espagnol, Santiago, qui, après des études au séminaire, renonce à la prêtrise, contre le souhait de ses parents. Il embrasse alors une existence simple faite de nature et de lecture. A la suite d’un rêve lui révélant l’existence d’un trésor caché au pied des pyramides d’Egypte, il décide d’entreprendre un voyage qui, depuis l’Andalousie, en Espagne, l’emmène jusqu’à Gizeh, sur la rive gauche du Nil.



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