samedi 25 janvier 2020

PAIN







 R&B Vous expliquez qu’il existe, comme pour les vins, des blés de grand cru. Pouvez-vous précisez votre pensée ?
C.V. : Je ne suis pas assez technicien pour affirmer que telle variété est plus ceci ou moins cela, comme on pourrait le dire avec des cépages. Je suis bien sûr capable de citer les variétés de blé qui composent notre mélange de farine actuel. Ainsi, nous utilisons du Rouge de Bordeaux, une ancienne variété de blé, planté à la ferme Duroc en Seine-et-Marne. On l’appelle Rouge Duroc, car ce blé, originaire de Bordeaux et semé sur un terroir qui n’est pas le Bordelais, donne un goût différent de celui récolté à Bordeaux. C’est normal, car il est l’expression de la terre, de l’ensoleillement, des précipitations, bref d’un microclimat. Contrairement à un vigneron, je ne possède pas de terres, je n’ai a fortiori pas semé de blé. En revanche, Roland Feuillas(2) pourrait vous dire que ses farines sont issues de blé noir d’Irak, de Rouge de Bordeaux ou de Barbu du Roussillon. Je demande simplement à mon meunier, Les Moulins Bourgeois, de me trouver les variétés les plus savoureuses, les plus goûteuses, celles qui développent le plus d’arômes. Je recherche dans mes pains la complexité aromatique. Même si 100 % de mes farines proviennent de ces moulins, cela ne m’empêche pas, lorsque je rencontre des agriculteurs qui cultivent d’anciennes variétés de blé, de procéder à des essais. Il faut préciser que les Moulins Bourgeois s’inscrivent dans une démarche consciencieuse, car non seulement ils incitent leurs fournisseurs à travailler en bio, mais ils essayent de les convaincre de remplacer leurs variétés de blé moderne par des variétés anciennes. Ce n’est pas facile, car les rendements sont plus faibles, le prix est plus élevé, mais le goût est fantastique, sans parler de la digestibilité…
R&B Pourquoi avoir opté pour les levures plutôt que le levain ?
C.V. : Le problème du levain, c’est un peu comme la barrique, « façon Parker ». Cela donne une expression monolithique. Au départ, j’utilisais deux belles farines très différentes, j’ai fait du pain au levain avec chacune d’elle, et je me suis aperçu que les deux pains avaient le même goût. C’est certes puissant, mais sans complexité, et avec une acidité élevée. Il ne faut pas oublier qu’historiquement l’usage du levain était destiné à masquer les défauts de la farine. Pendant très longtemps en effet, le blé récolté comprenait d’autres plantes que le tamisage n’éliminait pas. Lorsque tout était écrasé, le goût avait tendance à être dénaturé. Pour gommer ces défauts, on travaillait donc au levain, qui est une fermentation déjà arrivée au sommet de sa courbe de maturité. D’ailleurs, si l’on tarde trop, au bout de quelques heures, il vire à l’acide acétique, au vinaigre. Son côté presque acide donne l’illusion qu’il a du goût, comme lorsque vous noyez un bon foie gras dans du porto pour faire votre terrine. Pour moi, l’expression d’une farine doit être beaucoup plus subtile. Les quantités de levures avec lesquelles je travaille sont très faibles : j’utilise moins de levure que tous les boulangers qui travaillent au levain : ils ajoutent deux à trois grammes de levure par kilo de levain, tandis que j’en utilise moins de deux grammes par kilo de farine. Comme pour le vin, les levures sont des champignons qui appartiennent à la famille des saccharomyces. En démarrant la fermentation avec si peu de levures, je cherche à ce que les ferments sauvages qui sont dans la farine s’expriment. Or, trop de levure les tue. Bien sûr, le pain lèvera quand même, mais il sera sec, n’aura aucun goût et de surcroît sera indigeste. Alors que si vous travaillez avec une faible dose de levure pour réveiller les levures indigènes, en leur laissant le temps de se démultiplier, le résultat est complètement magique. C’est la même chose pour le vin : il y a un  lien intime entre le travail de la vigne, la fermentation, ces clés que sont les températures et le monde sauvage qui vient ensemencer, et le pain.
R&B Vos fermentations sont donc plus longues ?
C.V. : Mes fermentations sont lentes et longues : elles durent deux jours. C’est du bon sens ; il faut laisser faire le temps. Or, c’est un peu le drame de notre monde moderne où l’on répète que le temps c’est de l’argent, en oubliant les principes fondamentaux, c’est-à-dire la santé, le goût… Si l’on se précipite, il faut avoir recours à des béquilles chimiques. Pour faire un bon pain, il faut maîtriser la fermentation, donc la température, sa durée et la cuisson. Même avec une bonne farine, si vous maîtrisez mal le procédé, vous n’obtiendrez jamais un bon pain. C’est comme le vigneron qui récolte de beaux raisins, mais qui maîtrise mal sa vinification. En plus, je développe une palette aromatique qui est sans comparaison avec les pains au levain, ou les pains « modernes » qui sont fabriqués en deux heures. Enfin, il existe une étape, absente chez le vigneron, la cuisson. Une cuisson réussie, c’est un pain avec une croûte épaisse, torréfiée mais pas brûlée. Tout l’art consiste à obtenir ce toastage sans sécher, ni cramer le pain.
R&B Quelles solutions adoptez-vous pour maîtriser la fermentation, que vous appelez « cette clef du goût » ?
C.V. : La fermentation est un animal sauvage qu’on doit apprivoiser ; on ne le maîtrise jamais complètement, mais on arrive à l’encadrer et à l’amener là où on veut. Il ne peut y avoir de maîtrise totale, car en fonction de la météo, de l’hygrométrie, de la température – et même à température et à hygrométrie égales -, la farine que je vais recevoir cette semaine n’est pas tout à fait la même que celle de la semaine dernière : elle est vivante. C’est pour cela qu’il faut rester humble. Tout repose sur l’observation. Très vite, dès qu’on fait couler l’eau et qu’on commence à mélanger, on voit de quelle manière la farine boit, vite ou lentement. Est-ce que le réseau glutineux commence à se lisser rapidement ou lentement ? Alors, on s’adapte. On prend la température. Est-ce qu’elle correspond à la température souhaitée ou non ? On laisse ensuite une première fermentation de cinquante minutes, qui permet de s’assurer du bon démarrage ou non. En fonction de ces paramètres, on aménage la recette. On fait un autre pointage, un peu plus long, un peu plus court. Tout cela fait partie du bonheur du métier, car ce n’est jamais pareil. On a vraiment l’impression de dialoguer avec quelque chose de vivant. Ce n’est pas une pâte morte !
R&B Avez-vous un secret de fabrication que vous ne pouvez dévoiler ?
C.V. : Oui, j’ai un secret de fabrication que je ne divulgue pas. Nous avons notre recette, notre savoir-faire : ainsi, Le Pain des amis, en l’occurrence le pain emblématique de la maison, possède un goût que personne n’arrive à reproduire aujourd’hui. Et c’est tant mieux, car pour moi chaque artisan doit pouvoir créer un produit unique, singulier.


R&B Dites-m’en plus sur la farine
C.V. : J’utilise des farines vivantes. Sans vie, il n’y a pas de goût. Je suis bien sûr résolument contre toute béquille chimique : excès de levure, additifs, acide ascorbique, etc. Lisez par curiosité la composition d’un sac de farine industrielle, notamment la liste des additifs : on y met de l’anti-oxygène, sans parler de tous les exhausteurs de goût et de toutes les poudres de perlimpinpin, juste pour compenser le fait qu’on a détruit la vie.
R&B Vous êtes partisan d’un pétrissage court ?
C.V. : Oui, car plus vous pétrissez, plus vous incorporez de l’air. Or, il en faut juste assez pour assurer la fermentation. S’il y en a trop, la pâte sera oxydée. Là aussi, le parallèle avec le vin est facile.
R&B Au cours de la panification, quels contrôles effectuez-vous ? Sur quels ingrédients ?
C.V. : J’envoie mes différents produits - pommes, farines… - aux laboratoires pour analyse. L’eau est filtrée - comme pour le café ou le thé –, car si vous souhaitez un produit qui a du goût, c’est indispensable. La filtration élimine le chlore, le calcaire, le plomb et les métaux lourds, ce qui nous permet de réduire la dose de sel et de levure. Mais l’eau garde ses oligo-éléments. Nous utilisons du sel de mer.
R&B Dans votre ouvrage, vous abordez les problèmes liés au gluten
C.V. : Il existe une désinformation dramatique autour du gluten, ce qui rend bien service à nombre d’industriels qui lancent sur le marché des produits sans gluten. Le problème n’est pas le gluten, puisqu’on en consomme depuis des siècles et qu’on s’en est bien porté jusqu’ici. En fait, le problème concerne le gluten issu des blés modernes, ces espèces de clones limite OGM qu’on nous fait ingurgiter aujourd’hui. Vous constatez en regardant un champ de blé qu’au fil des ans, les blés sont de plus en plus petits. Si vous regardez les peintures de moisson des siècles passés, vous remarquerez que les blés étaient d’une hauteur équivalant à la taille d’un homme. Plus les rendements ont augmenté, plus la taille des blés a été réduite, car par hybridation on cherchait aussi à réduire la paille. Mécaniquement, la molécule de gluten a grossi et, comme la durée de fermentation des pâtes s’est réduite, ne dégradant pas suffisamment cette molécule de gluten, le pain est devenu indigeste. Et ce n’est pas un effet de mode, c’est une réalité. Donc, si le nombre de personnes hypersensibles au gluten s’accroît, c’est parce que le pain, dans 99 % des cas, est fabriqué en deux heures avec des blés modernes, il est indigeste ! Avec des farines biologiques et des fermentations longues, il n’y a plus de problème de digestion, ni de ballonnements, voire d’éruptions cutanées. Je le constate régulièrement dans ma boutique avec la clientèle.

R&B Vous n’êtes pas tendre envers les viennoiseries industrielles ?
C.V. : 85 % de la viennoiserie est fabriquée industriellement. Non seulement des farines de m… sont utilisées, mais, sur une chaîne industrielle, le croissant est fabriqué en deux heures, et non en 36 heures.  Pour aller aussi vite, une farine comme la nôtre ne peut pas être utilisée, car elle résiste. C’est comme un muscle.  Si vous essayer d’étaler cette farine, de la plier et de l’étaler à nouveau, c’est impossible, ça éclate. Alors les industriels ajoutent de l’assouplissant, comme pour la lessive. De nombreuses béquilles chimiques vont permettre de mécaniser à outrance le processus, d’aller très vite, en palliant également le goût insipide. Du bétacarotène, des exhausteurs de goût, du monosodium de glutamate sont ajoutés pour donner l’illusion d’un quelconque arôme, mais pour la santé, il s’agit de mauvais gras, de mauvais sucre – quand ils utilisent du sucre ! –, et c’est indigeste. Le drame : il existe une omerta totale sur ce problème. Les pouvoirs publics ne veulent pas être dérangés, car le pain c’est sacré. On évite d’en parler ; les journalistes sont bridés par un organisme français qui veille : l’Observatoire du pain. En fait, ce sont les groupes de pression à la solde des industriels du pain qui mettent tout en œuvre pour interdire toute information objective. Pour moi, il y a un scandale sanitaire sur le pain et la viennoiserie.
R&B Faites-vous des émules ?
C.V. : Aujourd’hui, je me soucie du goût, de la santé des consommateurs et de l’impact sur les générations futures. Mais j’ai depuis longtemps l’impression de prêcher seul dans le désert. Cela m’est égal, car je fais ma part du travail. Si je peux réveiller un tant soit peu les consciences, si les consommateurs modifient un peu leurs habitudes alimentaires, ou si des confrères boulangers se mettent à analyser leur farine, j’aurai, comme dit Pierre Rabbi (3), fait ma part ! Ce n’est pas énorme, mais si progressivement nous sommes plusieurs à faire la même chose, le monde sera meilleur !
R&B Combien êtes-vous à faire un pain tel que vous le décrivez ?
C.V. : Déjà, parler de boulangerie artisanale ne veut plus rien dire. Je suis incapable de vous citer un autre boulanger parisien qui travaille comme moi. Nous sommes pour l’instant une poignée en France, mais j’espère qu’avec le temps nous serons un peu plus nombreux. Je ne connais personne qui se pose la question sur la composition des matières premières. Chaque fois que je rencontre des pâtissiers de renom, que je pénètre dans leur arrière-boutique, que je découvre leur stock de sirop de glucose et d’huile de palme et que je leur en fais la remarque, j’ai l’impression de passer pour un fou furieux. Ils ne me croient pas. Vous savez, les gens n’aiment pas sortir de leur zone de confort. Tant qu’il n’y a pas une loi qui interdit l’huile de palme et le sirop de glucose, cette usine à diabétiques proliférera. On fabrique des diabétiques comme aux États-Unis. Le sirop de glucose est partout, dans les produits sucrés comme salés. Malheureusement, votre foie et votre pancréas ne le reconnaissent pas. Est-ce parce que je suis fils de médecins que j’ai plus le souci de la santé au travers de ce que je transforme, et que j’estime avoir une responsabilité ? Je ne peux pas fermer les yeux, sous prétexte qu’il n’y a pas de loi.

samedi 18 janvier 2020

HIPPOPOTAMUS

mercredi 8 janvier 2020

PINOCCHIO 2019 / 2002